De "l’art de la respiration" de Mazdaznan à "la marche afghane" (1981), puis de "la marche afghane" à "la marche avec respiration rythmée" de Mazdaznan [1] (1985)
SOMMAIRE
C’est constamment qu’il faut reporter l’attention sur l’exécution de l’acte respiratoire, il faut rythmer la marche, le travail, la pensée sur la respiration. […] Plus la respiration s’amplifie, plus elle est consciemment suivie, contrôlée par l’individu, plus la santé de celui-ci s’améliore.
Dr O. Z. Ha’nish [2]
Le livre d’Edouard Stiegler publié en 1981 aux Editions de la Maisnie (Groupe Guy Trédaniel, Paris) et souvent réédité depuis, avec pour titre "Régénération par la marche afghane – La respiration au service de la santé", est une référence essentielle et bien connue pour cette marche fondée sur une synchronisation du souffle et du pas devant permettre de parcourir de grandes distances à une cadence soutenue tout en économisant son énergie – une modalité de marche inspirée à Edouard Stiegler par l’observation en Afghanistan, sur le chemin des grandes caravanes, de caravaniers marchands cheminant à pas réguliers, larges et rapides, en tenant par le licol leurs dromadaires lourdement chargés de marchandises.
Bien moins connu, semble-t-il, est le livre publié quelques années plus tard, en 1989, aux Editions Robert Laffont (Paris), avec pour auteurs Edouard et Colette Stiegler, sous le titre "Marcher, Respirer, Vivre". Edouard Stiegler en signe la conclusion de New York, 1985, et Paris, 1986. Ce second livre offre une version nouvelle, remaniée et étoffée de la teneur du livre de 1981, avec cette singularité que la référence à l’Afghanistan ou aux Afghans a complètement disparu et que l’appellation "marche afghane" y est entièrement absente, ayant cédé sa place à "la marche avec respiration rythmée" ou au sigle W.O.I. (aussi WOÏ) venant de l’appellation anglophone "walking with oxygen injection" ou "la marche avec injection d’oxygène, celle-ci ayant lieu, bien entendu, de façon naturelle, par les poumons".
Lorsqu’en 2013, Corinne G. Stiegler, fille des auteurs du livre de 1989, publie chez Guy Trédaniel Editeur, un élégant petit coffret avec pour titre celui du livre publié en 1981 par son père, elle y place – outre une réédition de ce livre en un pratique format de poche – un texte à son nom qu’elle intitule "Régénération par la respiration rythmée – La respiration au service de la santé". Ce dernier texte est une présentation simplifiée de la teneur essentielle du livre publié en 1989 sous le nom de ses parents. La "marche afghane" n’y est mentionnée qu’à une unique reprise et de façon presque fortuite, dans l’introduction, comme une des activités sportives auxquelles doivent s’appliquer les règles d’entraînement que Corinne Stiegler, à la suite de son père, énonce pour ce qu’elle nomme "la marche avec [la] respiration rythmée" ou "la marche/respire".
Entre-temps, en 1990, était paru aux Editions Nathan (Paris), le livre de René Flinois "Manda Na Baashi (Ne sois pas fatigué)". René Flinois est vraisemblablement le premier à avoir pratiqué la "marche afghane" d’Edouard Stiegler sur de très grandes distances: le 23 mars 1987, alors âgé de 34 ans, il quitta Paris pour une longue pérégrination ayant Pékin pour destination – une randonnée pédestre qu’il acheva le 18 avril 1989 au-delà de Pékin, à Bangkok, après avoir parcouru le Japon, Taïwan et la Thaïlande, au terme de séquences de marche totalisant 17.200 km. Sa motivation était entre autres de tester la "marche afghane" dont il était un précoce adepte, avec en plus l’espoir de se joindre, en Afghanistan, à une caravane des marchands nomades observés à distance par Edouard Stiegler une dizaine d’années plus tôt. Dans son livre, René Flinois relate "ce fabuleux voyage, à travers montagnes et vallées, déserts et forêts tropicales", sous la forme de notes rédigées au jour le jour, présentées dans l’ordre chronologique, et il y livre sans détour son évaluation de la "marche afghane", telle qu’elle se forgea au fil des milliers de kilomètres parcourus. Il écrit notamment (p. 186): "La marche afghane que nous connaissons par le livre d’Edouard G. Stiegler n’est que pure invention. Les Afghans marchent depuis toujours, mais ils n’ont inventé aucune technique. Ils marchent vite, courent, sautent de pierre en pierre, traversent les torrents, montent très lentement les cols (3 à 4 kilomètres à l’heure) et les descendent en courant. La respiration par le nez est rare, surtout en altitude où l’oxygène vous brûle les narines; ils soufflent beaucoup par la bouche, et leur respiration est plus souvent abdominale que pulmonaire." René Flinois ignorait vraisemblablement que, dans un livre publié quelques mois avant le sien, Edouard Stiegler avait supprimé de l’exposé de sa "marche avec respiration rythmée" toute référence à l’Afghanistan et aux Afghans.
En fait, les conditions dans lesquelles Edouard Stiegler rapporte dans son livre de 1981 avoir observé les caravaniers marchands afghans suggèrent déjà qu’en raison d’un biais cognitif "la marche afghane" qu’il a conçue et ainsi nommée peut devoir moins à ces caravaniers qu’à une application à la marche, à la lumière de ces observations, de pratiques respiratoires "de l’ancienne tradition de la Perse Zoroastrienne" dont dans le même livre il se déclare d’emblée "adepte convaincu depuis plus de vingt années" (soit depuis la fin des années 1950) et auxquelles il a adhéré à la lecture de la version française d’un livre publié initialement en anglais en 1902 à Chicago, intitulée L’Art de la Respiration avec pour auteur un certain Otoman Zar-Adusht Ha’nish (Téhéran 1844-Los Angeles 1936), qu’il désigne comme le Docteur Hanish.
Le livre de 1989 débute par un avertissement d’Edouard Stiegler contenant les trois précisions suivantes qui constituent des bornes essentielles de son évolution de 1981 à 1985:
Si l’on pratique "la marche afghane", on ne peut donc que gagner à s’intéresser aux exercices respiratoires de Mazdaznan exposé par O. Z. Ha’nish, en gardant néanmoins un esprit critique. [5] La considération du deuxième exercice recommandé s’indique d’emblée dans la mesure où il se pratique aussi en marchant, tandis que tous les autres se pratiquent en des positions statiques, dont certaines empruntées au yoga irano-égyptien. En sont présentées ci-dessous deux formulations: (A) d’abord, non pas celle de la version première, en anglais, du livre consacré par Ha’nish à la respiration (Health and Breath Culture, Chicago, 1902), [6] mais la version plus précise de cet exercice dans la première parution en français du même livre, éditée à Paris par les Editions Mazdaznan en 1921 sous le titre l’Art de la Respiration, et ensuite (B) la version de ce même exercice dans l’édition nouvelle de L’Art de la Respiration d’après le Dr Hanish, publiée en 1963. [2]
(A) Pour relaxer le corps au début de l’exercice, il suffit de bien chasser tout l’air des poumons et d’infléchir un peu les genoux environ un centimètre en avant. Le poids du corps se porte alors naturellement sur la plante des pieds et les jambes sont souples et élastiques. Une raideur des jambes se communique à toute l’attitude et provoque en particulier des tensions dans les viscères abdominaux. Vous inspirez pendant sept pas en serrant les poings, gardez le souffle pendant trois pas et expirez au même rythme en desserrant les poings. Marcher ainsi en rythmant sa respiration sur ses pas, pendant dix minutes, fait bien plus de bien et détend mieux que de longues promenades avec l’esprit distrait et sans observer la respiration.
Il s’agirait donc d’un rythme 7-3/7-0 selon la notation usuelle, ou 7-3/7-3 en s’inspirant de ce qui suit.
(B) Partant d’une démarche souple et légère: rythmez l’inspiration du souffle sur 3, 4, 5, 6, 7 pas (on y parvient peu à peu), faire 1, 2, 3, 4 pas (ne jamais faire beaucoup au début), en gardant les poumons remplis; puis expirez en faisant de 1 à 7 pas, selon les possibilités, et en faire 1, 2, 3, 4 sans reprendre de souffle. Cet exercice de marche est éminemment salutaire, mais nous le répétons, faire au début seulement très peu, conduira seul à l’accomplir parfaitement et avec plein profit. Observez en marchant de bien "masser" les plantes de pieds et de ne jamais taper du talon.
Il s’agit ici d’une sorte d’algorithme permettant de générer une pluralité de rythmes avec pause(s) respiratoire(s), tels les deux seuls proposés par Edouard Stiegler, 22 ans plus tard, pour "la marche avec respiration rythmée": 3-1/3-1 et 4-2/4-2, certains des rythmes de grande randonnée forgés vers la même époque, pour ses propres besoins, par René Flinois au cours de son long périple, comme 4-2/6-2, mais aussi d’autres aujourd’hui couramment pratiqués, comme 4-1/4-1
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[1] Mazdaznan est un culte syncrétique mêlant christianisme et zoroastrisme fondé par Otoman Zar-Adusht Hanish (Wikipédia).
[2] L’Art de la Respiration d’après le Dr HANISH, Edition nouvelle, Paris, Les Editions Mazdéennes, 1963, p. 118.
[3] Ceci est à mettre en relation avec la suppression de toute référence aux caravaniers marchands afghans.
[4] Ce disant, Edouard Stiegler met désormais à l’avant-plan ce qui, en 1981, n’était de sa part qu’un encouragement aux débutants: "Il vous suffira, au début, de pratiquer la synchronisation de la marche et des exercices respiratoires au cours des actes de votre vie quotidienne, en vous rendant, par exemple, à la station de métro ou d’autobus la plus proche."
[5] Certaines formulations relatives à la synchronisation du souffle et du pas, par exemple, semblent en contradiction avec le principe figurant dans la citation mise ci-avant en exergue que c’est la marche qui doit être synchronisée avec la respiration (consciente et dirigée), non l’inverse. Certaines recommandations à propos de la posture du corps en marche sont aussi problématiques (placement du regard, mouvement ou non de la cage thoracique,…).
[6] Ce livre peut être téléchargé gratuitement à la bibliothèque mazdéenne en ligne http://www.mazdeen.com, l’adresse précise du livre étant http://www.mazdeen.com/docum21.htm.
A.C., 12 mars 2024
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